Colère Jaune 2/2


Pourtant la nature a exploré d’autres mécanismes comme Jean-Marie Pelt le démontre dans de très nombreux ouvrages (dont La Solidarité). Des bactéries sont capables de sassocier, des espèces différentes de collaborer ensemble à leur bénéfice conjoint, comme les animaux et les végétaux par exemple : se sont les mécanismes de symbiose. 

Sur un autre plan, Pierre Kropotkine, le penseur anarchiste, décrit dans son livre "L’Entraide : un facteur de l’évolutionde nombreux exemples dans les sociétés ouvrières : la solidarité comme véritable alternative au mécanisme de prédation intra-espèce que nous voyons se déployer à l’heure actuelle (prédation conjugant à la fois la domination et une sorte d’exploitation de l’autre jusqu’à épuisement total, sa destruction).

Les jours où je me réveille d’une humeur maussade je me laisse rattraper par les analyses de Laborit : que voit-on de nos jours sinon que de gigantesques moyens pour capter la richesse produite par le plus grand nombre ? Comme un détournement de fonds où ceux qui produisent vivent miséreux pour le profit d’une poignée de nantis - c.f. le rapport OXFAM :  26 individus possèdent autant que 50 % de la population  mondiale la plus pauvre : soit près de 4 milliards de personnes ! C’est un véritable siphonage, un vol, avec son corollaire l’appauvrissement et l’assujétissement du plus grand nombre, une mise en servage.

Michel Onfray détaille cette mécanique dans un livre paru en 1997 : Politique du Rebelle. Il y décrit ce qu’il appelle la « Cartographie Infernale de la Misère » composée de trois cercles concentriques aboutissant à une sorte de descente aux enfers pour les personnes ne disposant pas des moyens de subvenir à leurs besoins. Le troisième cercle, celui des Exploités, regroupant les personnes en situation plus où moins temporaire de précarité (les apprentis, les étudiants, les jeunes, les contractuels, …) qui, si la situation perdure, rejoignent le second cercle, les Réprouvés (ceux qui sont improductifs : les vieux, les malades, les sans-emploi, les immigrés, bénéficiaires des allocations, …) qui à leur tour peuvent glisser dans le premier cercle, les Damnés (SDF, vagabonds, …). Je crois que personne n’a bien loin de sa tête ce tableau funeste pour l’avoir vécu à un moment de sa vie, ou que des proches le vivent : tableau qui représente le péril de notre modernité.

Il me semble que la révolte qui se fait jour depuis plus de 3 mois maintenant montre la limite réelle qu’a atteint une grande partie de nos concitoyens. Comment laisser ces disparités prendre toujours davantage d’ampleur ? de telles indécences … doit-on davantage éteindre notre empathie, se replier sur soi en espérant que la foudre tombe à côté ? Est-on capable d’autre chose ?

Dans ce temps de révolte des « Gilets Jaunes » je vous propose trois livres ainsi qu'une séance de « rattrapage » …

Le premier ouvrage est signé Henri Vincenot et c’est je crois le dernier livre publié de son vivant : Le Maître des Abeilles. Né un peu avant la première guerre mondiale, orphelin de père, élévé par ses grand-parents bourguignons, Vincenot offre des ouvrages truculents qui parlent d’une époque révolue mais pas si éloignée pourtant, vécue par nos ayeux, (La Billebaude en particulier où il évoque l’époque de son enfance, le braconnage avec son grand-père, les quelques litres d’eau utiles à la famille qu’il se devait de collecter quotidiennement, …). Mais le Maître des Abeilles est un texte court, presque de la forme d’un conte, reprennant sous ue forme condensée ses thèmes favoris : la critique de la modernité, de ses gaspillages,  la destruction de la nature, des liens sociaux et des valeurs, la cupidité des gens de la ville, celle des « ingénieurs » ,… Ce livre est une respiration tout autant qu’une mise en prespective de nos modes de vie (et l’occasion pour moi de remercier ma fille cadette de ma l’avoir fait découvrir !). Mais les temps ont bien changé depuis … Vincenot écrirait-il avec la même bonhommie ?

Le second texte - A la Ligne - vient illustrer parfaitement la teneur des propos d’Onfray mentionnés plus haut. Son auteur Joseph Ponthus y décrit son parcours personnel : Éducateur spécialisé au chômage il est contraint au travail en intérim ; comme il vit en Bretagne les postes qu’on lui propose sont dans des usines de conditionnement de produits de pêche, ou alors dans des abattoirs … un texte sans ponctuation, des phrases mises les unes sur les autres comme une transposition de sa vie sur ces lignes de production qui font son quotidien, ou plutôt ses nuits … Il aurait pu dire : à la chaine ! un livre terriblement pathétique, à l’image de ce que vivent quelques de millions de personnes ! 

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Cette fois-ci le mot de remerciement est pour Cédric Laprun et sa librairie l’Escapade où j’aime aller à Oloron, sans le conseil duquel je serais passé à côté de ce bien joli livre.

Le troisième : Histoire de ta Bêtise, de François Bégaudeau, ou une étude anthropologique de la bourgeoisie moderne. Ecrit sous la forme d’une invective (avec ce « tu » presque culpabilisant qui questionne nos convictions et nos valeurs) à l’encontre de ceux qu’il a côtoyé. Livre se plaçant dans le contexte de la dernière élection présidentielle pour analyser les positions conservatrices masquées sous des apparences et des discours trompeurs. C’est brillant, débité à un rythme effréné, avec nombre d’analyses d’une justesse subjuguante. Un livre à lire par petite touche malgré le style donné qui impose tout l’inverse. Il faut avoir la sagesse de se ralentir, de méditer sur une phrase, une ligne … C’est une anthropologie de la peur d’être dépossédé, superbe ! 


Comme promis pour les accros des videos une séance de rattrapage (mais attention l’entretien dure plus de 2h00 ! à voir en plusieurs fois donc …). Il s’agit de l’interview de Francis Dupuis-Déri, professeur en Sciences Politiques à l’Université du Québec à Montréal, qui nous fait « l’autopsie » (si vous me permettez ce vocable) de la notion de démocratie. On y trouve des éléments historiques, des analyses peu rencontrées, qui mettent sous un nouvel angle les mécanismes de nos sociétés modernes :




Un mot sur ThinkerView, une chaine sur Youtube, qui réalise des entretiens avec des personnes que l’on entend peu ailleurs, je vous recommande de fouiller dans les archives et vous laisse juge ...



Il m’apparait que les Gilets Jaunes sur les rond-points n’ont d’autre alternative que la révolte, la mécanique de paupérisation de nos sociétés en fait les premiers touchés … difficile de ne pas se sentir concerné car ce qu’ils vivent en ce moment sera peut-être notre futur et/ou celui de nos enfants …

Le débat est ouvert, à bientôt pour la discussion !

© Jean-Philippe Véron 2015